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5 décembre 2017 2 05 /12 /décembre /2017 16:11
Souvenir VI - Chantal Lorio - Thème du concours de nouvelles 2017

Souvenir VI - Chantal Lorio - Thème du concours de nouvelles 2017

Chantal Lorio artiste peintre et restauratrice d'art - Anita

 

Au Château Conti de l'Isle Adam - recueil à commmander Edition du Pré du Plain -
Au Château Conti de l'Isle Adam - recueil à commmander Edition du Pré du Plain -
Au Château Conti de l'Isle Adam - recueil à commmander Edition du Pré du Plain -

Au Château Conti de l'Isle Adam - recueil à commmander Edition du Pré du Plain -

La couleur du souvenir. - Anita Baños-Dudouit

 

Tante Martha, la cinquantaine, célibataire, ne tolère de mâle que Moïse, chat noir, repêché de la Seine. Sa vie pourrait paraître terne, monotone, si ses lectures et son intérêt pour autrui – curiosité pour certains – ne lui offraient de l’aventure.

Lorsque j’étais adolescent, son engouement pour le polar orienta mon choix professionnel.

L’atelier d’artiste qu’elle habite depuis des années, n’est performant ni côté thermique ni phonique mais on ne l’en délogerait pas.

En matinée, elle me téléphone à mon bureau de la Police Judiciaire pour m’informer de l’événement concernant sa nouvelle locataire de palier.

– C’est une artiste peintre, la trentaine, rouquine. Quelle indécence ! Quand elle se baisse, on lui voit le haut du string et le reste. Tu imagines Guy ! – J’imagine très bien.

Chaque fin d’après-midi, une jeune fille blonde, pulpeuse, lui rend visite. Celle dont le corps étêté, en sous-vêtements, s’affiche en grand format sur toutes les toiles. Que Martha a découvert en récupérant Moïse qui s’était faufilé chez sa voisine.

– Drôle d’obsession ? Hier soir, des cris stridents, des bruits fracassants puis le silence, ont suivi l’arrivée d’une femme, dans mes âges, rousse, perchée sur des chaussures hauts talons à se dévisser les chevilles. La blonde n’est pas ressortie. Vers minuit, des raclements sur le parquet m’ont réveillée. Impossible de voir par l’œilleton de la porte. Prudemment, le matou enfermé dans la cuisine, j’ai gagné le palier. Penchée sur la rampe d’escalier, j’ai vu les deux rousses transportant un meuble. La porte miroir s’est entrouverte et une paire d’escarpins vernis rouge en est tombée. Ce matin, j’ai remarqué des gouttes de sang sur le palier et dans l’escalier. Depuis ma voisine n’est pas revenue. Je t’appelle suite au fait divers relaté dans le journal : un corps décapité de femme a été découvert dans une armoire à glace.

Que Martha ait fait son enquête ne m’étonne pas. Armée d’un appareil photo, elle a pénétré chez sa voisine, dont elle possède la clé, du temps où elle arrosait les fleurs de l’ancien locataire.

Elle m’assure n’avoir pas souillé la scène de crime, avoir pris toutes les précautions comme dans les séries télévisées. J’examine les clichés.

Un studio meublé d’un lit de camp, un tabouret, un meuble bas dont l’étagère est à moitié tombée. Dans la poubelle : un chiffon avec des traces de sang ou de peinture, des bouteilles brisées ; des boules rouges de billard éparpillées sur le sol ; sur d’immenses toiles grises, le long des murs, occultant les ouvertures, des esquisses blanches du même corps, sans tête, sans jambes, en slip et soutien-gorge. Le thème diffère pour le tableau du chevalet : parfait reflet du studio, sauf pour l’armoire à glace et les escarpins rouge disparus de la photo.

J’envoie une équipe sur place pour les constatations et le recueil des preuves pour analyse. La routine !

 

L’œuvre originale m’intrigue par le choix des teintes : camaïeu de gris, blanc, noir, rehauts de rouge vif et ce motif corporel obsessionnel. L’ordonnancement des éléments de la mise en scène est une suite presque parfaite de chiffres :

* Un gobelet métal renversé d’où se déverse un liquide blanchâtre.

* Deux escarpins, l’un renversé sur le parquet, l’autre posé sur un meuble bas gris-noir, support à des bouteilles grises débouchées.

* Trois tableaux de femmes demi-nues.

* Quatre montants de bois blanc contre le mur.

* Six bouteilles.

* Sept boules de billards alignées.

Une adepte de la numérologie ? L’énigmatique mot REEL, de tailles variées, comblent les interstices en tous sens.

La paire d’escarpins rouge vif fait resurgir un souvenir d’enfance fantasmé depuis. Je revois ceux, trop grands, que je chaussais lorsqu’avec Cindy nous nous déguisions. L’atelier de couture de sa mère recelait de vrais trésors surtout une collection de chaussures colorées, à talons hauts, bas, compensés : sandalettes, bottes, escarpins… Notre jeu avait mal fini.

Le lendemain, on frappe à la porte de mon bureau. Je grogne « Entrez ! » sans relever la tête du dossier que j’examine. Mon regard capte des escarpins rouges à talons aiguille, remonte sur des jambes gainées de bas noirs, une robe rouge moulant des courbes généreuses et le visage crispé auréolé de boucles rousses. Cindy ! Je déglutis. Guindée, elle s’assoit sur la chaise face à moi.

– Je venais porter plainte pour le vol d’un des tableaux de mon atelier et j’apprends qu’il a été réquisitionné comme pièce à conviction. C’est de l’abus de pouvoir ! Souvenir VI doit figurer à l’exposition Art-Capital du Grand Palais. Être retenue pour cet événement international est une chance exceptionnelle. Je dois le récupérer avant la fin du mois et nous sommes déjà le vingt, rugit-elle exaspérée. L’émeraude de ses yeux flambe, moi avec.

Elle ne m’a pas reconnu. Affublé d’un bouc, de lunettes aux verres teintés, les cheveux ras, je ne ressemble plus à l’étudiant qu’elle a fréquenté.

– On se calme ! Voilà les faits et présomptions qui pèsent sur vous : vous déménagez un meuble en pleine nuit après une bruyante altercation, des traces de sang jalonnent votre parcours. Une femme étêtée vient d’être retrouvée dans une armoire comme la vôtre, celle de votre tableau. Votre studio est en désordre et on y trouve des éléments suspects. Avouez que c’est perturbant !

–– On a encore le droit de s’engueuler avec sa mère ! s’énerve-t-elle. L’armoire et son contenu lui appartiennent.

– Pourquoi déménagiez-vous si tardivement ?

– Voyez ça avec monsieur le maire et sa mesure anti-pollution qui interdit à une vieille camionnette de circuler de jour !

– Quelle est l’identité de la personne qui vous rend visite quotidiennement ? Où peut-on la contacter ?

– C’est ma nièce, Olga. Elle pose pour moi en sortant du lycée. Appelez son proviseur ! Vous constaterez qu’elle est vivante.

Vérification faite, la demoiselle est présente au cours de philo.

– Et les traces de sang du palier, de l’escalier.

– C’est le mien. Je me suis blessée en ramassant les morceaux de verre des bouteilles que j’ai cassé sous l’énervement.

– Que contenait l’armoire ? La voisine en a vu tomber une paire d’escarpins, ceux du tableau. À qui appartiennent-ils ?

– C’est précisément l’objet de l’altercation avec ma mère. En son absence, avec un copain, j’ai emprunté l’armoire contenant sa collection de chaussures. Ce devait être le thème de mon prochain tableau.

Je revis la scène du passé.

– Toucher à ses chaussures est sacrilège !

– Oui… ! Elle a vu rouge.

– Comme quand, pour se déguiser, on découpe le voile de la robe de mariée qu’elle doit livrer à une cliente. Un mois privé de télévision, de jeux vidéo, ça ne s’oublie pas !

– Comment… ? Ses yeux s’écarquillent, s’illuminent. Guy ?

J’acquiesce, amusé, et résume mentalement l’affaire : plus de disparue, si après vérification l’armoire a réintégré le domicile maternel, que le sang est celui de Cindy – Je ne l’imagine pas en tueuse psychopathe. Voilà un dossier vide.

Bravo, Martha ! Ton instinct s’émousse. J’entends déjà les sarcasmes du procureur. Un temps précieux perdu dans l’enquête sur le meurtre de la femme étêtée. Ma promotion va en souffrir.

– Tu collectionnes toujours les chaussures rouges, à ce que je vois ! La vision érotique de Cindy en tenue d’Êve, juste chaussée de ses escarpins rouges, me rend tout moite. Je desserre le col de ma chemise.

– Non, je suis guérie de cette obsession. Et toi ?

– Je n’essaie pas de m’en libérer ! dis-je la fixant intensément.

– Je suis branchée sous-vêtements, à présent, dit-elle avec un clin d’oeil coquin. Je te montre ma collection... Quand tu me rapportes le tableau, minaude-t-elle. Tu connais l’adresse !

Waouh ! Je l’imagine déjà en guêpière et escarpins rouge sang. Le polar de Martha vire au remake pour adultes d’un certain conte où il est question d’un escarpin.

FIN

 

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  • : Écriture et parution de romans noirs à suspense psychologique - 1e d'une infirmière en milieu psychiatrique - 2e dans l'univers impressionniste de Claude Monet et son jardin de Giverny. En Écosse qui mêle la Romance et le fantastique.
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  • Papier et crayon ne me quittent pas - l'inspiration, fille des airs, ne se programme pas. L'écriture est une passion depuis toujours - Etre publiée, un rêve qui a rejoint la réalité.
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